Dans l’affaire des prisonniers politiques sahraouis de « Gdeim Izik » (dont fait partie notre filleul Mohamed Bourial), une mise au point s’impose à quelques jours de la prochaine audience prévue le 23 janvier 2017.
Hélène Legeay, responsable des programmes Maghreb / Moyen-Orient à l’ ACAT, précise:
« En juillet dernier, la Cour de cassation avait cassé leur condamnation pour manque de preuves et renvoyé leur affaire pour un nouveau procès devant la Cour d’appel de Rabat. En novembre, sentant que le Comité des Nations Unies contre la torture allait rendre sa décision concernant la plainte que nous avions déposée en 2014 pour Naâma Asfari, le Maroc avait tenté d’obtenir un report de la décision en annonçant que les accusés allaient être rejugés par la Cour d’appel de Rabat le 26 décembre.
Cela n’a pas empêché le Comité contre la torture d’adopter sa décision. Ainsi, le 12 décembre 2016, le Maroc a été condamné par le Comité pour de nombreuses violations de la Convention.
Il s’agit d’une grande victoire dont nous nous réjouissons mais il reste fort à faire car nous attendons maintenant du Maroc qu’il mette en œuvre la décision et qu’il en fasse bénéficier les 23 coaccusés de Naâma Asfari qui ont subi le même sort que lui.
L’audience du 26 décembre 2016 approchant, nous nous sommes activés pour nous assurer que les accusés seraient bien représentés. L’ACAT a coordonné la création d’un collectif international d’avocats en soutien aux accusés de Gdeim Izik. Elle a ainsi obtenu le soutien de plus de 40 avocats allemand, américain, belges, français, italiens et suisses qui ont tous signé une déclaration publique.
L’originalité de cette déclaration est qu’elle demande au Maroc non pas seulement de faire respecter le droit international des droits de l’homme, mais surtout le droit international humanitaire (DIH). Il s’agit d’un ensemble de normes – les Conventions de Genève notamment – qui s’appliquent en cas de conflit armé mais aussi aux situations d’occupation, comme en Palestine par exemple. Le Maroc a toujours refusé l’application du DIH au motif qu’il considère le Sahara occidental comme une partie intégrante du territoire marocain, en contradiction avec les nombreuses résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité des Nations unies qui considèrent qu’il s’agit d’un territoire non autonome sur lequel le Maroc n’a aucune souveraineté et qui doit donc choisir son statut à travers un référendum d’autodétermination. Référendum auquel le Maroc fait obstacle depuis plus de 40 ans.
L’ACAT soutient bien entendu elle aussi l’application du DIH comme cela est mentionné dans l’appel urgent diffusé peu avant l’audience du 26 décembre .
Pour ladite audience, l’ACAT a envoyé 3 avocats français pour représenter les accusés à Rabat. Il s’agit de Me Breham, Me Metton et Me Ouled. Ils ont pu rentrer sans problème sur le territoire marocain, à l’exception de Me Metton qui a été retenue à la douane pendant près d’une heure trente en raison de sa précédente expulsion du territoire marocain en avril dernier.
L’audience a débuté à 10h du matin. Les juges ont décidé le report au motif que l’un des accusés n’avait pas reçu de convocation. L’après-midi a été consacrée aux plaidoiries soutenant les demandes de mise en liberté qui ont été refusées sans motivation.
En apparence, la justice marocaine n’a pas lésiné sur les aménagements matériels pour donner l’apparence d’un procès équitable ouvert aux observateurs internationaux : procès entièrement filmé et diffusé dans deux salles d’audience, traductions simultanées en 4-5 langues, portiques de sécurité, présence de journalistes.
Toutefois, des incidents majeurs ont témoigné des limites de l’exercice :
–Les familles des accusés n’ont pas été autorisées à entrer dans l’enceinte de la Cour d’appel au motif qu’il n’y avait plus de place dans la salle d’audience,
–Les avocats français ont été contraints de remettre leurs téléphones portables à l’entrée de la Cour, alors que des avocats marocains ont pu conserver les leurs,
–Les accusés ont passé la journée dans une cage en verre d’où ils n’entendaient pas les débats (voir photo ci-dessus).Ils avaient le choix entre y rester ou sortir du box mais à la condition de passer toute la journée debout ce que certains ont fini par faire au bout de quelques heures,
–Lors des débats sur les demandes de mise en liberté, Me Breham a plaidé en se fondant sur la condamnation du Maroc par le Comité des Nations unies contre la torture (CAT) dans l’affaire de Naâma Asfari, un des 24 accusés. Pendant près de deux heures, Me Breham n’a cessé d’être interrompu chaque fois qu’il prononçait le mot « torture ». Interruption du procureur suivi par le président lui indiquant que l’évocation de la torture n’avait pas sa place dans une demande de mise en liberté. A plusieurs reprises, son micro a été coupé en raison d’un soi-disant problème technique qui a d’ailleurs nécessité une suspension de 15mn. A plusieurs occasions des avocats français ont été autorisé à plaider en français au Maroc dans d’autres affaires. Mais dans le cas d’espèce, Me Breham a été contraint de faire traduire sa plaidoirie par un confrère marocain qu’il ne connaissait pas et qui omettait de traduire les termes clés tels que « torture » et « Nations unies » ! Il a donc fallu près de 2h à Me Breham pour prononcer quelques phrases sur le fait que :
–Le Maroc a été condamné par le CAT pour la torture de Naâma Asfari,
–Le CAT a reconnu que Naâma Asfari avait été condamné sur la base d’aveux signés sous la torture, ce qui vaut d’ailleurs pour tous ses coaccusés,
–Naâma Asfari a été arrêté la veille du démantèlement du camp et des crimes allégués si bien que le flagrant délit n’est pas caractérisé.
De nombreux observateurs internationaux ont assisté à l’audience dont des Espagnols, des Italiens, des Norvégiens, des Portugais et des Américains.
La prochaine audience se tiendra le 23 janvier 2017. »